Le suicide est une priorité de santé publique. Il concerne la population dans son ensemble. Les chiffres (vingt-quatre suicides par jour) sont édifiants. Est-il possible de prévenir ces gestes ? Comment évaluer les risques ? Les spécialistes répondent aux questions.

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Il y a des chiffres qui en disent long. En France, on compte vingt-quatre suicides par jour. La deuxième cause de mortalité chez les 15-35 ans. « Et ces constats ne prennent pas en compte certains accidents de la route, qui peuvent être des gestes suicidaires », rappelle Thérèse Jayer, cadre supérieure de santé, adjointe à la coordination des soins. « À l’hôpital psychiatrique de Jury, 100 % de la population présente des risques suicidaires », souligne Maurice Zilliox, directeur des soins. La problématique, qui relève aujourd’hui d’une priorité de santé publique, a fait l’objet d’un colloque dans l’établissement messin, qui a réuni près de trois cents personnes, une grande majorité de spécialistes de la question.

Évaluer les facteurs de risque
« Il est primordial d’évaluer les risques », insiste Maurice Zilliox. Pour cela, les personnels soignants de Jury s’appuient sur le RUD (Risque, urgence, dangerosité). Un outil mis en place par un spécialiste de la question, Jean-Louis Terra (Professeur de psychiatrie à l’Université Lyon 1 et chef de service de psychiatrie de secteur au centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon). « Cet outil permet d’estimer l’urgence de la situation et la dangerosité du patient », reprend le directeur des soins. Si la planification de l’acte est précise, si la décision est rationnelle, ou si l’intention est claire et reportée. « Il faut savoir, complète Roxana Andone, psychiatre, que la crise suicidaire est réversible ».
Faire preuve de vigilance
Tout le monde est concerné : la famille, les enseignants, les soignants. Il s’agit de ne jamais négliger les propos d’une personne qui avoue un mal-être. L’écoute est primordiale. Le classique « ça va aller » n’est pas constructif. La vigilance s’impose au moindre changement de comportement d’un individu. « Dans les maisons de retraite où le taux de suicide augmente, il s’agit de surveiller la personne qui prépare son testament, range ses affaires, donne des dispositions à ses proches…, explique Thérèse Jayer. La solitude est un facteur aggravant ». Chez les ados, une veille sur les conduites ordaliques s’impose. Mais aussi sur la consommation de stupéfiants, d’alcool, la colère, l’agressivité, les signes de détachement ou de dépression. Le milieu scolaire, la famille ou le médecin traitant avancent en première ligne. Interpeller, interroger, déceler, sont les mesures à suivre, avant d’orienter vers les services adaptés.
Formation des soignants
La difficulté qui se pose aujourd’hui, c’est le manque d’information, et le manque de formation des personnels soignants. Les hôpitaux psychiatriques, en France, manquent de moyens. Pour parvenir à dépister les risques de suicide, il est nécessaire d’appeler à la vigilance, certes, mais également de soutenir les aidants qui peuvent se montrer démunis. La psychiatre de Jury a entamé un processus de formation de l’ensemble du personnel à l’outil RUD. « Une personne ne veut pas forcément mourir, elle veut avant tout cesser de souffrir, insiste Roxana Andone. D’où la nécessité de comprendre ses difficultés, de l’aider à mettre en œuvre système de protection, un travail psychothérapique. Il s’agit encore de mobiliser les proches. Un travail qui implique une approche pluridisciplinaire. La prévention du suicide, c’est l’affaire de tous ».
« Il faut travailler sur la destigmatisation. Il est encore difficile, en France, de pousser la porte d’un centre médico-psychologique. » Maurice Zilliox, directeur des soins à l’hôpital spécialisé de Jury, insiste sur le fait qu’un psychiatre est un médecin comme un autre.
Une unité mobile de psychiatrie
Maurice Zilliox, directeur des soins de l’hôpital spécialisé de Jury, en rêve : il voudrait « une unité mobile de soins psychiatriques, constituée de spécialistes, médecins, infirmiers, qui se déplaceraient à domicile, à la demande. Ces professionnels répondraient à un numéro unique que chacun pourrait composer au besoin, ou dans l’urgence ». « Il s’agit de travailler en amont de la crise suicidaire, insiste le directeur. Ce sont des équipes de prévention ». Maurice Zilliox entend tout mettre en œuvre pour constituer cette équipe. Il ne s’avance pas sur les délais. « Il faut l’organiser et avoir des moyens humains et financiers. »
« Les réseaux rendent visibles ce qu’on ne pourrait pas voir »
Émilie De Figueiredo, doctorante en sociologie, à l’Université de Pau.

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Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-35 ans, après les accidents de la route. Photo ER /Jérémie LORAND
Les réseaux sociaux peuvent-ils favoriser le passage à l’acte chez les jeunes ?
« En soi, les réseaux sociaux ne présentent pas de danger. Ils permettent de mettre en visibilité quelque chose qu’on ne pourrait pas voir. Les forums qui présentent des comportements suicidaires en font partie. Ce sont des mises en scène de comportements, tels que la scarification. Il y a des sites pro-suicide, ou pro-anorexie, qui deviennent un canal d’action. Si on les interdit, ils apparaîtront ailleurs. »
Quelles sont les interventions possibles ?
« Le rôle des modérateurs est très important dans les réseaux en ligne. Les professionnels peuvent se mettre en lien avec eux. Dans d’autres pays, il existe des promeneurs du net, des professionnels qui veillent. Mais cela peut engendrer un risque de dépossession chez les jeunes. » Comment les soignants peuvent s’immiscer dans ces outils ?
« Il faut que les soignants se mettent en lien avec les professionnels de la sociologie des usages. Que les professionnels de santé, ou les éducateurs spécialisés, se mettent à jour et s’approprient ces outils. Les réseaux sont au cœur de la sociabilité juvénile. »
Pour quelles raisons les ados se retrouvent sur ces réseaux ?
« Ce sont de nouveaux espaces d’expérimentation, car l’espace physique n’est plus accessible. Il y a le regard des parents et maintenant des caméras partout. Les espaces sont de plus en plus surveillés. Les jeunes cherchent un espace public où ils peuvent être vus, pour apprendre à se mettre en scène devant les autres. »
Faut-il en interdire l’accès ?
« Les parents ou les personnes qui veulent interdire l’usage des réseaux en ont peur. Un jeune qui va mal, ira s’exprimer ailleurs. Il faut au contraire accompagner les jeunes, les comprendre, les soutenir. » Les professionnels manquent de formation ?
« Ça oui ! On manque d’argent, et le manque de formation est évident, c’est pourtant à eux qu’on demande de faire le nécessaire. les parents aussi manquent de formation. »
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