Être handicapé et prétendre à une vie normale. Une vie amoureuse, affective. Nous avons rencontré des couples qui parlent de leurs relations, de leurs histoires intimes. Du bout des lèvres. Au XXIe siècle, le sujet reste confidentiel, pour ne pas dire tabou.
Ils sont confinés dans des fauteuils. Dans un handicap qui paralyse les mouvements, ralentit la parole, estompe les nuances de la réalité. Ils ne maîtrisent pas toujours leurs gestes. Ils sont résidents de la maison d’accueil spécialisée Bompard, de Novéant-sur-Moselle. Certains y passent une grande partie de leur vie. Une vie en communauté qui favorise les rencontres, les flirts, les amours… Et les confidences.
« On préfère ne pas faire de bébé »
Nicolas, 57 ans, et Armelle, 52 ans, sont ensemble depuis près de 21 ans. Ils partagent une même chambre. Tous deux sont en fauteuil et se débrouillent seuls pour certaines tâches quotidiennes. « On aime se faire des bisous, le matin et le soir, et dans la journée. On regarde aussi Les Feux de l’amour. »
Cette vie de couple, Jennifer et Michel se la sont également accordée. « J’avais fait des économies pour acheter un grand lit, raconte Jennifer, 35 ans. Maintenant, j’aimerais qu’on partage un appartement. Ils (l’association Bompard) vont en construire pour 2020… » Le couple a été accompagné par le personnel soignant de l’établissement. Il fallait gérer la contraception. « Je prenais la pilule avant. Maintenant, j’ai un implant dans le bras », explique-t-elle. Michel, 37 ans, enchaîne : « On préfère ne pas faire de bébé. Pour nous, c’est impossible. On ne pourrait pas s’en occuper, c’est déjà bien d’être en couple. On voudrait rester ensemble le plus longtemps possible. »
« C’est un sujet qui me gène »
Les histoires d’amour font partie du quotidien de la Fondation Bompard. Dominique a 66 ans. Elle se sent bien avec Jean-Pierre, de huit ans son cadet. Être en couple, pour elle, c’est accorder du temps à celui avec lequel elle partage des moments de complicité. « J’ai eu des petits amis, mais ils n’étaient pas très attentionnés, dit-elle. J’attends que la personne m’accorde de l’attention. Qu’elle ne soit pas tout le temps avec moi, mais à certains moments ». Jean-Pierre est à ses côtés depuis quelques mois à peine. Il aime partager ses repas, pratiquer de la gym douce, de la danse… Et pour ce qui est d’aller plus loin dans la relation… ? « C’est un sujet qui me gène », dit Dominique. « Mes parents m’ont appris à ne pas le faire. Du fait que je suis handicapée. »
« On se tient par la main »
Cet interdit, Rebecca en parle aussi. La quarantaine, elle a rencontré son amoureux il y a longtemps. Une passion qui la fait encore rougir aujourd’hui : « On se tient par la main, on se dit des mots d’amour… » Ils écoutent de la musique, sortent au restaurant le jour de la Saint-Valentin, sont même allés à un concert. « Mais mes parents ne veulent pas que j’aie un petit ami, confie-t-elle. Je ne peux même pas leur en parler ».
« Je n’ai pas de solution »
Quant à Christophe, il parle de ses besoins sexuels. « Mais je ne peux pas avec mon handicap. On ne peut pas dans nos fauteuils. J’ai des envies, mais je n’ai pas de solution. Notre problème, on est handicapé, on ne peut pas se débrouiller tout seul. Et on n’en discute pas. C’est notre intimité. »
À Jury : « Les patients trouvent des subterfuges dans des conditions indignes »
L’hôpital spécialisé de Jury dispose d’une capacité d’accueil de 280 patients. Selon les pathologies, certains peuvent rester « deux, trois, cinq ans… », précise Maurice Zilliox, directeur des soins.
Politique de l’autruche ?
Dans ce cas, comment l’établissement gère-t-il la vie affective et/ou sexuelle des patients ? « Pour être clair, reprend-il, on ne gère pas. On n’en parle pas. On met gratuitement à disposition des préservatifs, pour éviter les maladies sexuellement transmissibles. Les équipes soignantes et les médecins évoquent la contraception féminine. L’éducation est prise en compte par l’équipe soignante. »
Les raisons du silence ?
En France, tout ce qui relève de la sexualité dans les institutions est un sujet quasi tabou. « C’est notre approche culturelle des choses, explique Maurice Zilliox. En France, ce n’est pas à l’ordre du jour. Contrairement à d’autres pays comme la Suisse ou la Belgique, où il existe des aidants sexuels ».
Quel est le rôle d’un « aidant sexuel » ?
En Suisse, par exemple, les aidants sexuels ont un statut juridique. « C’est une personne qui aide à découvrir ou à trouver la sexualité, sans avoir un acte sexuel », précise le directeur des soins. Il s’agit d’aider les personnes à soulager leurs désirs.
Pourquoi sont-ils interdits en France ?
En France, l’assistance sexuelle est encore assimilée à de la prostitution.
La vie sexuelle ne contribue-t-elle pas à la construction psychologique des personnes ?
« Bien sûr, répond le directeur des soins. Quand elle est absente, cela influence la santé mentale et le processus thérapeutique peut être freiné. L’absence de vie sexuelle ou affective peut influencer le caractère, jouer sur l’agressivité d’une personne ».
Des agressions sexuelles ?
« Ce serait mentir de vous dire qu’il n’y en a pas. Déclarées ou non, poursuit Maurice Zilliox. Si on prenait plus en compte ces besoins et si nous disposions des textes législatifs, peut-être qu’il y en aurait moins ».
Comment ça se passe ? À Jury, les locaux vétustes ne permettent pas aux patients de disposer d’un univers intime. Pourtant, nombre de patients sont jeunes. « Dans la fleur de l’âge hormonal. Alors ils trouvent des subterfuges dans des conditions pas toujours très dignes. Ils vont là où ils peuvent », déplore le thérapeute.
Des sujets de réflexions ?
Au-delà des textes législatifs, aux abonnés absents, qui abandonnent aux soignants cette prise en charge délicate, la direction de l’hôpital spécialisé de Jury entend, lors de la reconstruction du site, offrir des chambres individuelles qui permettront une certaine intimité. « Nous voudrions également ouvrir un espace de vie affective, pour les familles, sans forcément favoriser les relations sexuelles », tempère le directeur. Néanmoins, il est urgent d’ouvrir les consciences sur le droit à la vie affective et sexuelle pour tous.
Thierry Morlet, directeur Pôle personnes en situation de handicap à la Fondation Bompard : « Nous n’avons pas le bagage législatif »
Comment gérez-vous la vie de couple des résidents ?
« En fonction de chacun. On ne ferme pas les relations de couple. Chacun est libre de faire ce qu’il veut. »
Vous les accompagnez ?
« On organise la possibilité de vivre en couple. On garantit le droit des gens et on a des oppositions des familles. On travaille avec les parents. »
Vous scindez vie amoureuse et sexualité ?
« Ce sont mes propos. La question des besoins sexuels se distingue de la vie affective. Ce sont des personnes vulnérables. Nous devons offrir un espace de liberté et protéger les personnes. Si nous sommes trop laxistes, nous sommes maltraitants, si nous sommes trop protecteurs, nous sommes maltraitants. »
Quelles réponses donner aux personnes qui éprouvent des besoins sexuels, mais qui ne peuvent les assouvir en raison de leur handicap ?
« Nous n’avons pas de bagages législatifs. On ne peut répondre à la place de l’État. Les assistances sexuelles sont interdites en France. Nous demandons des formations pour aborder vie affective et sexualité pour les personnes en résidence. »
Comment agissez-vous au quotidien ?
« Le personnel s’adapte. C’est une relation de compréhension très fine entre soignants et soignés. On pose aussi des kits (des serviettes) pour les personnes qui veulent se soulager. Il s’agit de respecter les patients et le personnel. »
Les handicaps sont très différents, le sujet est très délicat…
« La sexualité c’est ce qui vient après les autres besoins. Certaines personnes n’ont pas conscience du besoin de sexualité. C’est ce qui est délicat. Quelle boîte de Pandore j’ouvre face à des personnes qui n’ont pas forcément conscience de l’acte ? »