En 2017, les urgences du Grand Est ont enregistré plus de 6 500 passages pour tentative de suicide. À l’occasion de la journée nationale de prévention, Françoise explique pourquoi elle a voulu en finir. Et comment elle gère ses idées noires.
« Je me suis isolée et j’ai mis le paquet en médicaments. » Françoise a fait deux tentatives de suicide en l’espace de trois mois. Coma, hospitalisation psychiatrique de six semaines, sa vie n’a tenu qu’à un fil. C’était il y a huit ans et cette quinquagénaire est toujours là. Quand on lui demande si elle regrette ses deux actes, sa réponse fait froid dans le dos : « Je vais vous choquer, mais ce que j’ai d’abord regretté, c’est de ne pas avoir réussi. »
Puis, la Mosellane se ravise : « J’ai aussi regretté d’avoir fait du mal à mon entourage. Je voulais juste me soulager. Ma souffrance psychologique était si forte que je n’étais plus capable de penser aux autres. Je n’ai pensé qu’à moi. » En ce mardi consacré à la journée nationale de prévention du suicide, elle accepte avec courage de se raconter, sous anonymat. Si c’est ce même entourage qui lui permet toujours de s’accrocher, Françoise dit devoir sa vie à une psychothérapie à base de PNL (Programmation neurolinguistique) : « On a beaucoup travaillé sur la confiance en soi et la hiérarchisation des valeurs. L’estime de soi, c’est ce qui est détruit en moi. Cela m’a redonné de la vigueur. »
Sa fragilité psychologique est longtemps restée une énigme pour cette femme très sociable et entourée : « J’ai eu un père dépressif mais l’hérédité n’explique pas tout. » Ses premières idées noires sont apparues à l’adolescence. Hyper-sensible, timide, renfermée, la jeune fille sèche chaque année un tiers du temps scolaire : « Je ruminais et pleurais beaucoup. » Inquiets, ses parents lui font consulter un psy qui conclut à « une grosse crise d’adolescence ».
Après la perte de sa maman alors qu’elle n’a qu’une vingtaine d’années, Françoise commence une psychothérapie. Celle-ci exhume les abus sexuels dont elle a été victime enfant : « Je me suis construite à partir de cela. Il m’en est resté un sentiment de honte et de culpabilité dont je n’arrive pas à me défaire. » Alors qu’elle a une trentaine d’années, elle commet sa première tentative de suicide : « Un appel au secours. J’ai pris des médicaments à forte dose, mais pas assez pour mourir. »
Françoise n’est pas hospitalisée. Et la douleur s’atténue. Pendant vingt ans. Jusqu’à ce que des soucis de couple viennent servir d’élément déclencheur. Huit ans après avoir voulu tirer un trait définitif, celle qui ne prend « qu’un tout petit peu d’anxiolytiques » ne s’estime pas sortie d’affaire. Loin de là : « J’ai un fond dépressif sourd qui est là tout le temps. Je ne me suis jamais vraiment relevée et je pense que je n’y arriverai jamais. Il y a des moments où je me sens bien. Mais je sais que cela ne va pas durer longtemps. Je bascule très facilement d’un état à l’autre. »
Gérer ses idées noires
En revanche, le souci des autres la retient de nouveau à la vie : « J’ai fait beaucoup de mal à mon entourage. Je pense même avoir brisé des vies. Mais je ne veux plus leur refaire vivre ça. » Alors, au-delà de ses psychothérapies qui lui font un bien fou, elle apprend à gérer ses idées noires : « Quand je sens que je sombre, je prends mes cahiers d’exercices thématiques sur la communication non violente, l’affirmation de soi ou autre et cela améliore mon état psychique. »
Elle sait aussi qu’elle peut compter sur le service d’urgences psychiatriques du CHR de Metz-Thionville : « Il m’est arrivé de les appeler à trois ou quatre reprises. Il y a toujours quelqu’un. Après discussion, ils m’ont même invitée à passer. À chaque fois, cela me fait du bien. C’est un vrai soutien. »
811 C’est le nombre de décès par suicide en 2015 dans le Grand Est
811 C’est le nombre de décès par suicide en 2015 dans le Grand Est. Parmi eux, 77,6 % d’hommes. En 2017, 6 522 passages aux urgences pour tentative de suicide ont été enregistrés, dont 62,5 % de femmes.
Questions à Dr Pascal Pannetier,
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Il ne fait pas partie des régions les plus touchées, qui sont le Nord et la Bretagne. Le Grand Est se situe plutôt dans la moyenne nationale. Ce qui est positif, c’est que les chiffres nationaux et régionaux baissent depuis vingt ans. De 12 000 morts par an au début des années 2000, nous sommes passés à moins de 10 000. On le doit à la prise de conscience des autorités sanitaires et politiques et à la mise en place de programmes de prévention. On le doit aussi à une plus grande diffusion auprès des généralistes de prescriptions d’antidépresseurs.
Arrive-t-on à cerner les raisons qui mènent à cet acte ?
Les causes sont évidemment multiples. Elles peuvent être sociales, somatiques, psychologiques. Cela peut survenir lors d’un conflit professionnel, familial ou une douleur chronique. La crise augmente progressivement jusqu’à ce que n’importe quel événement serve d’élément déclencheur. Il n’y a pas une maladie mentale proprement dite mais plutôt une notion de crise suicidaire qui peut durer huit semaines. Il est important que l’entourage parvienne à la détecter. Mais souvent, on passe à côté de la dépression majeure.
Quels sont les profils types concernés ?
Les suicides aboutis touchent beaucoup les hommes âgés vivant de manière isolée, surtout en milieu rural. On parle par exemple beaucoup de la crise de la paysannerie, milieu où l’on trouve les profils les plus à risques. Mais les médecins ont aussi un taux de suicide trois fois supérieur à la moyenne. Les personnes de 44 à 54 ans au chômage sont aussi très touchées. Les tentatives de suicide, quant à elle, concernent plus les jeunes femmes urbaines. Elles sont aussi de plus en plus fréquentes chez l’adolescent, comme une forme de rituel de passage vers le monde adulte. Cela touche les jeunes filles de manière de plus en plus précoce, parfois dès 11 ou 12 ans alors que cela ne survenait pas avant 14 ou 15 ans dans les années 1990.
De quelle manière peut-on mieux prévenir les suicides ? La prévention commence par la bienveillance, par le fait de parler de bien-être. Cela peut se faire dans le milieu professionnel ou le système scolaire. Au Québec par exemple, des entreprises ont mis en place un système de pairs vigiles. Ce sont des gens formés pour repérer les risques psychosociaux. En France, cela a pu se diffuser dans certains groupes. Des corporations mettent aussi en place une veille, comme les médecins par exemple. Le réseau SOS Amitié, et son écoute inconditionnelle et bienveillante, joue également un rôle extrêmement important. Et pour prévenir la récidive, le dispositif VigilanS se développe en Lorraine).
Un dispositif contre la récidive arrive en Lorraine
Il s’appelle VigilanS. Ce dispositif, dont le but est de prévenir la récidive suicidaire, débarque progressivement en Lorraine. Financé par l’agence régionale de santé, il est développé par le centre psychothérapique de Laxou depuis mars 2018, où il succède à un dispositif proche, baptisé Rester en contact, qui a fonctionné pendant trois ans.
Le principe est assez simple. Tout suicidant se voit remettre à sa sortie d’hôpital une carte ressource. Il y trouvera un numéro vert à contacter en cas de besoin. Mais aussi une notice informative lui expliquant qu’il va faire l’objet d’un suivi. S’il ne s’agit pas de sa première tentative de suicide, une équipe composée d’un psychologue et d’infirmiers spécialisés le rappellera 10 à 20 jours après sa sortie de l’hôpital. S’il s’agit d’une première tentative, l’appel intervient six mois après la sortie d’hôpital. Et peut être renouvelé tous les six mois si besoin. « On réévalue à chaque fois le tableau clinique et le risque suicidaire », décrit le Dr Charlotte Sens, médecin psychiatre à l’unité d’accueil des urgences psychiatriques de l’hôpital de Central à Nancy. En fonction de son état, un rendez-vous en urgence ou un nouvel appel téléphonique peuvent lui être proposés. Les personnes non joignables sont relancées par courrier. Un dispositif qui a fait ses preuves, notamment dans le Nord. « Le nombre de décès de récidivistes suicidaires y a baissé de 10 % entre 2014 et 2016, soit 29 morts de moins en deux ans. Et le taux de suicide a baissé de 7,8 % », explique la praticienne. Démarré à Nancy, le dispositif a été installé à Toul, Lunéville, Pont-à-Mousson et dans une partie des Vosges. Neufchâteau et la Moselle seront les prochains secteurs où il sera déployé. En additionnant ce dispositif et son prédécesseur, 3 000 patients ont ainsi été inclus depuis mars 2015. Deux mille appels téléphoniques, et autant de courriers ont été donnés et envoyés. 2 300 notes d’informations sur ce dispositif ont aussi été adressées aux médecins.